Le Covid et la Santé Publique, angles morts de Mediapart

Médiapart, courageux et rigoureux média d’investigation, dont les journalistes n’hésitent pas à défier les puissants et les apparences ? Cette image, qui est vraie sur une partie des thèmes traités, est plus douteuse en ce qui concerne certaines rubriques. Singulièrement : la santé.

L’ironie du sort veut que paraissent simultanément le très bel article de Nate Holdren (trad @CabriolesDouze), et un nouvel article de C. Coq Chodorge, qui couvre (et recouvre) les questions de santé à Mediapart. Cela aurait pu être une rédemption, après la tristement fameuse série de l’été 2022, qui a contribué à la minimisation du Covid chez la gauche diplômée, et dont un papier mélangeait virus et microbes en une vision enchantée de la symbiose avec les pathogènes. “Vivre avec” les virus, quelle profondeur philosophique…

A l’opposé de ce qui fait la réputation de ses collègues dans le paysage journalistique français, le nouvel article aborde la poursuite de la crise Covid sous un angle insolite pour ce média : celui de s’en tenir rigoureusement à la confusion établie par les autorités sanitaires françaises.


Le titre est à lui seul un acte manqué : les immunodéprimés “se sentent” abandonnés.

Se sentent ? Ils sont en danger permanent en lieux clos publics, et la population, sourire à l’air, rit devant tant de “peurs du rhume”, ne levant pas le petit doigt (même en lieu de soins! – mais c’est excusable : Médiapart les a rassurés sur la fin heureuse de la pandémie) pour assurer le minimum de sécurité à ces personnes, voir leur toussant dessus sans vergogne. Dire que les immunodéprimés “se sentent” abandonnés, c’est choisir de placer l’accent sur la subjectivité de ce qu’ils ressentent plutôt que sur la réalité de leur mise en danger collective. C’est reporter la faute sur les victimes. Il est cohérent, dans ce contexte, de voir le membre de l’association “vaincre la mucoviscidose” oser à peine suggérer que le port d’un masque chirurgical lorsqu’on est fiévreux serait souhaitable (ce n’est en réalité certainement pas suffisant pour prévenir les infections nosocomiales, dont le Covid). Comment peut-on en être arrivés là?


La réalité de la pandémie transpire cependant à travers les contradictions de l’article : seuls les immunodéprimés y sont considérés à risque (et ils le sont démesurément), et en même temps, on y apprend que 80% des réas sont occupées par d’autres malades. Ces derniers semblent n’avoir aucune importance : ce sont sûrement des vieillards, dont l’heure a sonné à la pendule de l’eugénisme ambiant.

Les décompensations de maladies existantes, les événements cardiovasculaires, le fait que les personnes atteintes de cancer ont 2 fois plus de risques de mourir dans les 30 jours s’ils contractent le SARS-Cov-2 (variant Omicron, oui-oui), ce n’est visiblement pas un sujet. Et bien sûr, le mot “covid long” n’apparaît toujours pas.

Le déni de ce phénomène est un angle mort révélateur : si l’on voyait que l’on abandonne, non une petite partie de la population (“c’est triste, ouh la la, mais que peut-on y faire?” se demandent les journalistes), mais aussi le droit de toustes à la santé et la longévité, ça voudrait dire, peut-être, qu’on n’est pas ce que l’on dit être ?

Cela serait admettre qu’on préfère le confort temporaire de la “responsabilité individuelle” à la prise de conscience de l’enjeu social et sanitaire – et son corollaire : appeler à des règles collectives de santé publique.
L’unique horizon, dans cet article, est celui de l’arrivée d’un médicament miracle, qui éviterait à la population de valides de se sentir coupable de la mort des “plus fragiles”, ceci sans avoir à fournir aucun effort. On préférerait ne pas s’en remettre à un miracle médical futur pour cesser de hiérarchiser entre la vie des uns et celle des autres.

Nous sommes déçu-es, comme tant d’autres, de la participation de Mediapart à l’invisibilisation des effets du Covid qui touchent ou peuvent toucher tous les malades chroniques actuels et ceux en devenir. Cette vision bornée sert le pouvoir en place plus que tout autre, et lui permet de détruire les droits sociaux de santé sans même que le journal dit “de gauche” ne vienne dénoncer l’inanité de l’inaction publique face au Covid.

Journalistiquement, c’est un pendant compassionnel aux communiqués gouvernementaux décrétant la pandémie finie. Pas étonnant que les complotistes se sentent comme chez eux en commentaires.

Décevant, pour un “journal d’enquête”.

05 avril 2024 20:58

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